Article de Serge Vallemont – Ancien directeur du personnel du ministère de l’Equipement qui s’interroge sur l’efficacité des différentes réformes menées dans l’administration et se demande si elle n’engendre pas plus de désordres que d’efficacité.
Existerait-il une fatalité qui ferait que décidément la réforme de l’administration française serait impossible ? Depuis une trentaine d’années les projets réformateurs se sont succédés au point parfois de donner le tournis aux fonctionnaires.
On se gardera bien ici de rappeler l’ambition des objectifs successivement affichés, la détermination proclamée des décideurs du moment, voire le radicalisme revendiqué par certains promoteurs du changement.
Il reste qu’en dépit des efforts déployés par tous, les bénéfices escomptés n’ont pas été au rendez vous au regard, tant des contraintes économiques auxquelles l’Etat est confronté, que des attentes de la société en termes de service au citoyen. Qu’en sera-t-il du vaste chantier des réformes engagées depuis 2007 avec la révision générale des politiques publiques (RGPP), chantier prolongeant et se superposant à celui entrepris en 2001 avec la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) qui posait déjà les fondements d’une profonde rénovation de la gestion publique ? A entendre les personnels - cadres compris – oeuvrant au niveau opérationnel dans les diverses administrations de l’Etat, et à lire les sondages récemment parus (enquête IFOP pour Les Echos, novembre 2009 ; sondage BVA - BFM. )
La Tribune,(février 2010) sur leur perception de cette déferlante de réformes, sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il serait grand temps de s’interroger si on est pas en train de créer plus de remous et de désordres dans l’appareil administratif de l’Etat, qu’une conduite de changements gérés en continuité ?
En parlant des réformes structurelles en cours il souhaite qu’elles ne se limitent pas à une simple réduction des effectifs.
Sans vouloir jouer les Cassandre, l’expérience montre qu’il est plus facile de détruire des organisations que de les créer. Avec les fusions et recompositions bouleversant « à marche forcée » les structures des administrations centrales et plus encore celles des services déconcentrés de l’Etat, l’efficacité et la qualité des services pourraient sérieusement diminuer avant de réellement s’améliorer. Les risques de dégradation des relations entre les personnels, les pertes d’identité, de repères, de motivation, surtout de compétences collectives fondées sur des pratiques professionnelles partagées ne doivent pas être sous-estimés. En clair, il ne faudrait pas que ce vaste chantier de réformes se résume à un simple exercice de rationalisation et de simplification des structures administratives de l’Etat dont le principal objectif se limiterait à la diminution des effectifs de la fonction publique.
Puis la façon dont elle sont menées est analysées sous l’angle de leur perception par les agents .
Il est évident qu’il y a loin de la conception de la réforme à sa mise en œuvre et pour paraphraser une formule célèbre, on peut dire que le changement « est un art tout d’exécution ». Or, force est de constater que la RGPP, telle qu’elle est conduite, est vécue par les acteurs de terrain comme essentiellement privilégiant les réformes de structures.
Certes nous ne disons pas que celles-ci ne sont pas nécessaires mais encore faut-il porter une attention particulière aux conditions de leur mise en œuvre, en prenant en compte une progressivité, indispensable pour ne pas paralyser une administration qui marche, un recours à l’expérimentation assortie d’une évaluation, réservant enfin une place particulière à des mesures d’accompagnement en matière de politique de gestion et de valorisation des ressources humaines, l’entreprise de modernisation ne pouvant être menée à bien sans une réelle implication des personnels.
Une organisation ce n’est pas seulement une structure, ce sont d’abord des hommes et des femmes, des modalités de travail, de coopération, de décision, toutes choses qui renvoient à des compétences et à des comportements. Si l’on peut « décréter » un changement d’organigramme, l’évolution des compétences et des pratiques de travail exige elle des investissements lourds dans le domaine des ressources humaines. Comme le soulignait Raymond Soubie, alors P.D.G. du Groupe Altedia, lors d’un colloque organisé en 2004 par l’Institut d’Entreprise « La réussite de la réforme de l’Etat repose d’abord sur celle de la gestion des ressources humaines, si facilement reléguée au second plan ». Il est clair en effet qu’il n’est pas d’exemple de réforme ayant réussi sans que celle-ci ait été accompagnée par une politique ambitieuse de gestion et de valorisation des ressources humaines. Mais dans ce domaine les bonnes paroles ne suffisent plus.
Enfin il insiste sur les lourdeurs "technocratiques" engendrées par cette succession de réformes que les personnels doivent supporter sans trop en connaître les finalités et sur l’urgence d’intégrer la dimension humaine du changement.
Or, si depuis une bonne dizaine d’années les rapports s’accumulent pour définir les bonnes pratiques devant découler d’une conception rénovée de la fonction « Gestion des ressources humaines » : entretien annuel d’évaluation, gestion personnalisée et prévisionnelle, concept de deuxième carrière, formation continue tout au long de la vie, valorisation par la mobilité, conditions de travail, santé au travail et politique de prévention, relations sociales, leur traduction opérationnelle quand il arrive qu’elle s’opère, se fait toujours sous la forme d’un renforcement des règles bureaucratiques, reflet d’une vision purement juridique de la gestion des personnels.
On pourrait multiplier les exemples montrant comment des réformes censées moderniser la gestion des personnels (réforme de la notation, introduction de l’entretien d’évaluation, bilan professionnel, gestion des mobilités, …) ont fini par se traduire par une accumulation encore plus grande de réglementations en faisant l’impasse sur la dimension humaine en tant qu’élément central de toute gestion d’une personne. Cette évolution, disons le, constitue une régression par rapport aux actions engagées dans ce domaine il y a une vingtaine d’années. Ceci est d’autant plus dommageable que les fonctionnaires sont aujourd’hui confrontés à des réformes conçues par des décideurs centraux dans un isolement relatif par rapport aux troupes qui auront à les subirent et les mettre en œuvre. Comment alors s’étonner des craintes exprimées par les personnels face à des changements porteurs d’incertitudes, de doutes quant à leur capacité à maîtriser de nouveaux processus de travail, d’une peur de leur déqualification ?
Pour sauver la RGPP et lui donner un sens positif il y a urgence pour les gestionnaires des réformes d’intégrer la dimension humaine du changement et de se pénétrer de l’idée que les réorganisations exigent un important investissement dans les ressources humaines, notamment au niveau des conditions de travail et en matière de formation, celle-ci devant être accompagnée d’un apprentissage individuel et collectif aux nouvelles pratiques professionnelles, indispensable à la consolidation des réformes.
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